Reportage Dimanche 6 mai 2007
Madjid Bougherra
un «Magic» dans la Premiership
Par : F.A-S. samedi 05 mai 2007
Il y a quatorze mois, il se morfondait sur le banc des remplaçants de Gueugnon, en Ligue 2 française. Il y a trois mois, il était titulaire à Charlton pour affronter Manchester United, en Premiership anglaise. En une année, Madjid Bougherra a fait une ascension fulgurante, gravissant rapidement les paliers. A présent, il a pris goût à la Premiership et veut y rester le plus longtemps possible.
Janvier 2006. Promis à un bel avenir, Madjid Bougherra est plutôt anonyme dans le championnat de Ligue 2 française. Sociétaire de Gueugnon, un club dans la capacité du stade excède le nombre des habitants de la ville, il ne trouve pas grâce aux yeux de son entraîneur, Victor Zvunka. «Je n'étais pas mauvais, loin de là. J'étais même titulaire la saison d'avant. Or, lorsqu'un nouvel entraîneur arrive, ou il t'aime, ou il ne t'aime pas. Moi, il ne m'aimait pas. Il avait toujours des propos blessants à mon égard qu'on ne proférerait même pas dans la rue, surtout durant le Ramadhan», explique-t-il en évoquant cette période plutôt sombre de sa carrière. Il n'était pas le seul à être frappé d'ostracisme au sein du club, puisque Karim Ramdani (qui, excédé par sa situation, avait même fini par faire un passage dans le championnat algérien, au sein de l'USMA), Abderraouf Zarabi et un autre joueur marocain étaient ses camarades d'infortune. De là à dire que Zvunka était raciste, il y a un pas que Bougherra refuse de franchir, même s'il en a un soupçon très fort. Agacé, il demande un plus grand temps de jeu ou être prêté puisqu'il était toujours sous contrat. Sa première destination est la Grèce pour des essais dans un club local, mais cela ne l’a pas plu. «L'essai était concluant, mais il y avait la barrière de la langue, l'environnement que je ne maîtrisais pas, des terrains de jeu catastrophiques, la peur de l'éloignement... Autant de facteurs qui m'ont incité à y renoncer.» C'est alors que lui est parvenue une proposition de la Championship, la deuxième division anglaise. Crewe Alexandra, club situé à la frontière avec le pays de Galles, était au plus mal au classement et avait un besoin urgent d'un défenseur central. «J'ai été tout de suite séduit. Le jour de la signature de mon contrat, j'ai assisté à un match de Crewe Alexandra. Ce qui m'a fasciné, c'est que l'équipe avait perdu sur son terrain par 4 à 1, mais les supporters avaient quand même longtemps applaudi leurs joueurs et ne les ont pas insultés. Je me suis dit que c'est là que je devais jouer, d'autant plus que j'avais toujours rêvé de jouer en Angleterre.»
A Crewe, «Magic» Bougherrra est né
Bougherra ne passe que quatre mois à Crewe, mais quels mois ! L'équipe, réputée jusqu'alors par sa défense passoire, encaissait moins de buts. Plus même : l'international algérien se permettait d'inscrire des buts et de remonter proprement avec le ballon au lieu de se contenter de balancer vers l'avant. «Cela a fortement impressionné les supporters et les observateurs. C'est vrai que dans un pays où un défenseur central utilise surtout le jeu long, c'est rare de voir un central dribbler ou remonter le terrain balle au pied. Cela m'a aidé à me distinguer au sein de mon club et même dans la Championship.» Il s'est si bien distingué que les supporters de Crewe Alexandra et la presse locale lui ont vite trouvé un surnom : «Magic» (magique), un astucieux jeu de mots avec son prénom, Madjid. «Cela m'a fait sourire et m'a flatté à la fois. En France ou dans un autre pays, on n'accepte pas ce genre de surnoms car on accuserait le joueur d'avoir la grosse tête. Ce n'est pas le cas en Angleterre où on donne des surnoms partout et sans arrière-pensée. C'est juste fun.» Madjid «Magic» Bougherra termine donc fort la saison, même si son équipe, réveillée trop tardivement, n'échappe pas à la relégation en League One (troisième division anglaise).
«J'avais failli signer à Bolton»
Une fois la saison terminée, il croule sous les sollicitations et les propositions. Ne voilà-t-il pas que, parmi elles, il y en a même une d'un club de... Premiership ! «C'est étonnant, mais Bolton m'a fait une proposition. Je ne vous cache pas que, sur le coup, j'avais envie d'accepter car jouer en Premiership est l'ambition de tout joueur, mais mes agents m'ont convaincu que ce serait précipité et que je devais prendre le temps de m'imposer en Championship afin d'aller en position de force en Premiership.» Ipswich, Crystal Palace et Leeds, trois clubs qui ambitionnaient de revenir vite en Premiership, sont sur les rangs pour le recruter, mais il finit par choisir Sheffield Wednesday. «C'est le club qui s'est manifesté en premier et qui a montré le plus d'intérêt à mon égard. Le président du club, le manager et l'entraîneur des gardiens de but ne cessaient pas de m'appeler. Constatant qu'ils me voulaient vraiment et que je pouvais m'épanouir au sein de ce club, j'ai accepté.» Il ne manque pas, toutefois, d'inclure dans le contrat une clause stipulant qu'il pouvait quitter le club s'il reçoit une proposition d'un club de Premiership.
«Who is that defender coming out the defense with ball ? It is Madjid Bougherra !»
La décision se révélera judicieuse puisque, tout comme avec Crewe Alexandra, il va vite faire parler de lui. En six mois, il devient l'un des défenseurs les plus solides de la Championship, toujours efficace dans les airs grâce à sa grande taille et à son excellent jeu de tête, et surprenant toujours les observateurs avec sa relance propre et ses remontées balle au pied. Il réussit même à inscrire deux buts. Ses performances contribuent à placer Sheffield Wednesday parmi les favoris pour l'accession en Premiership. Cela ne manque pas de lui valoir l'estime des supporters qui, en plus de l'applaudir à chaque match, ont même composé un chant à sa gloire : «Who is that defender coming out the defense with ball ? It is Madjid Bougherra, Madjid Bougherra !» (Qui est ce défenseur qui sort de son camp balle au pied ? C'est Madjid Bougherra, Madjid Bougherra !). «La parenthèse de Sheffield est importante dans ma carrière car c'est là que j'ai pris pleinement confiance en mes possibilités.» Des possibilités étalées avec une telle classe que les recruteurs se sont mis une nouvelle fois à frapper à la porte sitôt le mercato arrivé. Cette fois-ci, il ne s'agit que de clubs de la Premiership. «Les propositions les plus sérieuses émanaient de Everton et de Charlton Athletic. Le manager de ce dernier, Alan Pardew, m'a tenu un langage très convaincant. Il m'a dit qu'il me proposait un contrat de quatre ans et demi, que j'allais jouer et progresser pour devenir une pièce essentielle de l'équipe. Dix jours après, j'ai rencontré David Moyes, le manager de Everton. Il m'a tenu un discours flou, plus nuancé. Il m'a dit qu'il compterait sur moi comme un joueur polyvalent et qu'il m'utiliserait là où le besoin se ferait sentir, notamment au milieu du terrain. Cela ne m'a pas plu car je suis un défenseur central et je ne voulais pas m'essayer à des postes que je n'ai jamais occupés auparavant, au risque de me louper et même de perdre ma place à mon poste de prédilection en sélection nationale. C'est pour cela que j'ai choisi Charlton, même si j'avais conscience que c'est un club qui risque la rétrogradation.»
Le manager de Shieffield ne voulait pas qu'il parte
à Charlton
Bougherra choisit donc Charlton, mais cela n'a pas plu à son manager à Sheffield Wednesday, auteur de déclarations fracassantes dans la presse dénonçant le choix de l'Algérien alors qu'il s'était entendu avec son homologue de Everton pour son transfert. Une grande polémique s'en était suivie, relayée par la presse anglaise (et dont Le Buteur avait fait état à l'époque des faits). «J'ai été surpris qu'un simple transfert ait pris de telles proportions. Laws a failli monter les supporters contre moi. Je l'ai appelé pour lui demander des explications. Il s'est mis à se défendre comme il pouvait, sans trop convaincre. C'est sûr qu'il voulait gagner plus d'argent en me transférant à Everton, mais je lui ai quand même ramené 3 millions de livres, soit 4,5 millions d'euros. En tout cas, je sais une chose : je suis parti proprement, en laissant le club à trois points des places qualificatives pour le play-off. Je n'ai rien à me reprocher.» Ainsi débute une nouvelle ère pour Bougherra, celle de la Premiership, la toute première division anglaise.
Un Algérien comme guide
Débarqué à Londres, il s'intègre très vite, grâce surtout à la présence de plusieurs Africains francophones à Charlton : les Sénégalais Diawara et Faye, le Camerounais Alexandre Song (frère de Rigobert Song), le Marocain Talal El Karkouri... «Mis à part Song, ce sont tous des musulmans et cela nous permet de parler du football, de la France, de la religion, de l'Afrique, de faire la prière ensemble... C'est bien d'avoir des coéquipiers de la même communauté.» De plus, Charlton est un club calme, sans pression, presque familial. «Il y a quelques jours, nous avons fait une réunion avec un club de supporters. C'était vraiment très convivial. Il n'y avait ni voyous ni hooligans, seulement des supporters passionnés, mais très polis. Nous avons discuté de l'avenir du club et nous avons aussi bien rigolé. Sincèrement, je m'y plais.» Pour l'instant, il est à l'hôtel avec sa petite famille car cela demande du temps pour avoir les autorisations nécessaires pour louer une maison. «Heureusement que j'ai rencontré ici à Londres un Algérien, Yacine Ferraz, qui avait joué au football lorsqu'il était en Algérie. Il m'aide beaucoup pour régler les problèmes administratifs, pour trouver ce que je cherche à Londres, pour m'orienter dans la ville. C'est lui mon guide à Londres. C'est devenu un vrai ami.» En somme, l'intégration s'est bien faite à Londres. Reste l'intégration en Premiership.
«Si je pouvais rester en Premiership, je le ferais»
Le spectre de la relégation pose des interrogations à Bougherra. Certes, il est lié encore pour quatre ans au club, mais il ne cache pas que s'il pouvait partir l'été pour un club de Premiership, il le ferait. «Je suis bien à Charlton et je suis certain que, si nous descendons en division inférieure, nous reviendrons vite la saison prochaine. Cependant, j'aimerais bien rester en Premiership. Il n'y a rien de décidé sur ce point, mais si une proposition sérieuse me serait faite après la fin du championnat, j'essayerais de convaincre le manager de me laisser partir.» Rien de définitif pour l'instant, même si Madjid voit son avenir en Angleterre, en Premiership plus précisément et dans un grand club dans le futur. Il n'oublie pas une chose : «Merci à Victor Zvunka ! C'est grâce à sa haine que je suis aujourd'hui en Premiership. Vous voyez comme le mektoub fait bien les choses.» La Premiership, c'est vraiment «Magic»
F.A-S.